Publié le 23 mars 2023
Librairie Lipajou (Bouge): une affaire de famille
Il y a quarante ans, Dominique Dieu reprenait une librairie-presse sur Bouge. Quelques années plus tard, il rachète un second magasin pour agrandir son commerce. Il est ensuite rejoint par Olivier, son neveu, pour la librairie-presse et Cécile, sa fille, avec qui il partage sa passion de l’écriture de luxe.
Cette année, les trois associés ont fêté l’anniversaire de leur magasin et en ont profité pour chouchouter leurs clients fidèles. Immersion chez Lipajou, où l’humain et la proximité sont clairement au centre des préoccupations !
Tout commença en 1983
Dominique : Mon épouse et moi sommes tous deux enseignants de formation. Quand nous avons terminé nos études, nous avons directement cherché du travail, mais rien n’était disponible. Après quinze jours de chômage, nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas rester dans cette situation.
C’est alors que nous sommes tombés sur une petite annonce dans le journal en janvier 1983 à propos d’une librairie-presse à remettre. Le 31 janvier, j’avais un job !
Mon commerce était situé au coin d’une rue, dans un ancien magasin d’alimentation transformé en librairie-presse. L’emplacement était donc intéressant, mais elle était assez moribonde quand je l’ai reprise.
La huitième année après le début de mon activité, alors que nous allions renouveler le bail, j’ai appris qu’il y avait un terrain à bâtir mis en vente juste à côté d’une droguerie. Je ne me suis pas attardé et j’ai fait une offre qui a été acceptée. J’ai donc quitté mon emplacement originel et ai construit une nouvelle librairie-presse.
Tout allait bien et puis un jour, une personne envoyée par la voisine est entrée et m’a expliqué que la droguerie était à vendre (fonds de commerce et bâtiment). Avant de publier une annonce, elle voulait savoir si cela m’intéressait et me donnait la priorité durant une semaine.
Je n’ai pas hésité longtemps et ai été la trouver pour lui demander quel était son prix. Comment vous dire que ma femme m’a royalement engueulé lorsque je suis rentré et que je lui ai fait part de mon désir de racheter ce nouveau commerce… L’ayant rassurée en lui promettant que si cela n’allait pas je le revendrai, j’ai également pris conseil auprès de ma mère en lui demandant ce que mon père aurait fait. « Oh, il aurait foncé ! » m’a-t-elle répondu. J’ai donc racheté la droguerie !
Nous avons commencé par casser le mur pour faire en sorte que les deux commerces communiquent. Ce nouvel espace a d’abord accueilli la papeterie car c’est un produit qui fonctionnait du tonnerre. En termes de quantités, nous avions des palettes entières de matériel spécialement pour les rentrées scolaires. Par la suite, les quantités ont diminué et nous avons alterné différents produits comme la bande-dessinée ou les livres dans cet espace.
Travailler seul c’est bien, mais à deux c’est mieux !
Dominique : J’ai travaillé seul, avec un employé de temps en temps, pendant trente ans. Un dimanche, alors que j’étais chez moi, je discutais avec mon neveu et nous avons décidé de nous associer. C’était il y a dix ans déjà !
Olivier : Quand je suis arrivé, nous avons créé une société avec la volonté de me lancer comme indépendant mais aussi d’assurer la pérennité du commerce.
Avant cela, je travaillais chez Vanden Borre et quand je passais voir mon oncle dans sa librairie-presse, j’étais impressionné par sa connaissance des clients. Avant même qu’ils n’ouvrent la porte, il savait ce qu’ils venaient chercher et avait déjà préparé leurs commandes. C’est ce côté social hyper important qui fait la vraie différence avec un supermarché, cette dimension de proximité est vraiment particulière à notre réseau.
D’ailleurs, une des premières choses que l’on fait chaque matin, c’est ouvrir la gazette pour voir ce qu’il se passe dans le coin, qui est décédé, qui a eu une naissance, etc. Cela nous permet de savoir quand le client arrive ce qu’il s’est passé dans sa vie dernièrement. En comparaison, dans mon ancien boulot, je ne voyais les clients qu’une fois tous les six mois, voire par an ! C’était impossible de maintenir un véritable lien.
Personnellement, j’ai la passion de l’humain. On dit de moi que je pourrai parler à un parapluie ! Le jour où je perds ça, j’arrêterai.
Concurrencer les supermarchés
Olivier : Au niveau de nos produits, je pense que quand je suis arrivé, la papeterie avait déjà beaucoup baissé par rapport à ce que cela représentait dans notre chiffre d’affaires au début. Nous avons vraiment vu le déclin au niveau de la rentrée des classes.
Aujourd’hui, nous avons comme concurrent majeur les grandes surfaces. Notre but est donc de réussir à donner envie aux clients qui sont d’abord passés au supermarché de venir directement chercher les mêmes produits chez nous car il y a un véritable service en plus.
L’écriture de luxe, une passion partagée
Dominique : Ma fille travaillait comme assistante sociale au Forem et, un jour, elle a voulu changer de carrière mais sans perdre le côté social. Elle s’est donc associée à moi à son tour. Aujourd’hui, nous sommes donc trois gérants pour le côté librairie-presse et deux pour le côté Montblanc.
En effet, nous avons transformé la partie papeterie du magasin (dans l’ancienne droguerie) en côté « produits luxueux ». Avec Cécile, ma fille, nous voulions en faire un vrai espace à part, qui communique avec le reste de la librairie-presse, mais où l’on pouvait vendre des produits spéciaux.
L’écriture, cela m’a toujours passionné et mon rêve était donc de proposer des produits d’écriture de luxe. Petit souci, le stock était monstrueux et vous devez tout acheter, pas question de dépôt-vente ! Nous avons reconstruit une cloison entre les deux parties du magasin et installé une porte coulissante. Ainsi, nous avons deux entités différentes et deux sociétés séparées (Librairie Lipajou et Les Must de Lipajou), mais les deux côtés communiquent toujours.
Tout ce qui est produits d’écriture et Montblanc se vend bien. Je suis le seul en Wallonie à avoir ce mobilier Montblanc en particulier car nous savions que cela allait devenir obligatoire pour vendre des produits de la marque à partir d’un certain temps. Nous avons donc fait le choix d’investir dès le départ car nous voulions être pro-actifs.
Olivier : Au moment de développer le côté luxe, je savais que mon oncle et ma cousine étaient véritablement passionnés par cela. Je n’ai pas cette même passion, mais je trouve cela magnifique.
Nous avons beaucoup de gens qui viennent ici grâce au bouche-à-oreille pour ces produits en particulier. Des clients arrivent parfois avec une pièce bien précise qui ne fonctionne plus et mon oncle sait exactement quand le fabricant a arrêté de la produire et comment la remplacer. C’est assez impressionnant !
Réseaux sociaux : une heure par jour bien rentabilisée
Olivier : Au début, nous n’étions pas certains de l’intérêt d’être sur les réseaux sociaux car nous craignions que cela prenne trop de temps pour peu de résultats. Finalement, Cécile s’est prise au jeu et les retours ont vite été ultra positifs.
Quand la crise covid est arrivée, nous étions déjà fort actifs et pendant le confinement cela nous a permis de dire que nous étions toujours ouverts ainsi que de faire un focus sur les différents services que nous proposions.
Nous publions toutes les nouveautés, cela augmente les ventes et surtout les accélère. Il n’est pas question ici de vente en ligne mais bien d’une véritable vitrine. Les clients viennent en magasin en expliquant qu’ils ont vu tel ou tel produit sur notre page Facebook.
Le site internet est moins intéressant pour nous, car nous ne comptons pas lancer un web shop et personnellement je ne me rends que rarement sur les sites des petits commerçants donc je ne pense pas que cela peut réellement nous apporter un plus.
Cécile : En général, je pense que je consacre une heure par jour à m’occuper de la page Facebook. En tout, nous avons deux comptes Instagram (Librairie Lipajou Bouge et Les Must de Lipajou) et deux pages Facebook (Librairie Lipajou Bouge et Must de Lipajou – Bouge) pour les deux côtés du magasin. Je dirai que la majorité de notre clientèle a une quarantaine d’années, voire plus, donc ils ne sont pas toujours sur Instagram. Ce qui justifie le fait de communiquer sur les deux réseaux.
D’ailleurs, nous ne communiquons pas spécialement la même chose, car on s’adapte à notre public et au réseau. En général, les gens se précipitent sur les nouveautés dès qu’ils les voient en ligne. C’est même déjà arrivé qu’un client vienne pour un produit qu’il a vu trois jours auparavant et qu’il soit déjà vendu !
Quarante ans, ça se fête
Olivier : En venant de la grande distribution, j’ai appris à travailler avec des gens de métier. Ici, nous avons la chance d’avoir un voisinage bien fourni : fromager, boucherie, boulangerie, etc. Nous avons décidé de demander à une boulangerie du coin de nous fournir le petit-déjeuner pour l’offrir aux clients. La boucherie est venue cuisiner des mini burgers pour la pause de midi. Nous avons aussi un voisin, qui a lancé une roulotte itinérante pendant le confinement pour vendre des plats préparés et de la soupe, qui est venu faire à manger. Sans oublier la fromagerie Maître Corbeau située un peu plus loin qui s’est occupée de la dégustation de fromages durant toute la journée !
Enfin, les traditionnels « Molons » namurois sont venus chanter au magasin pour mettre un peu d’ambiance.
Nous avions envoyé un mail à nos fournisseurs pour recevoir des goodies à offrir à nos clients et ils ont tous joué le jeu ! L’idée de faire un événement du genre n’est pas de recevoir des cadeaux, mais de remercier les clients en leur offrant des attentions. Certains viennent chez nous depuis 40 ans et nous voulions vraiment marquer le coup.
Cela a commencé gentiment, comme un samedi, puis à partir de 9h nous avons été complètement dépassés. Il y a eu énormément de monde. Heureusement, des clients nous ont donné un coup de main. Nous sommes certes situés sur un axe central pour aller à Namur, mais nous avons aussi ce côté village où tout le monde se connaît.
Et maintenant ?
Cécile : Dans le futur, nous aimerions davantage développer le côté cigares. Mon père a comme idée d’agrandir le commerce en incluant une salle de réception et y faire goûter les cigares.
Sinon, il va tout doucement falloir penser à engager quelqu’un pour nous aider dans la librairie-presse, car je pense que mon papa commence à envisager sa pension. Évidemment, je ne pense pas qu’il pourra vraiment tout arrêter, mais il va diminuer son temps au magasin.
La charge de travail est immense, les commandes livres par exemple c’est toujours la folie. Nous avons donc bien besoin d’une personne en plus !
Dominique : Dans notre métier, il faut qu’on bouge. Le jour où je n’ai plus de projets, vous pouvez me mettre dans une boîte et ça sera fini ! Plus sérieusement, il me faut un nouveau projet tout le temps, mais je ne veux pas non plus m’abaisser à faire n’importe quoi.
Quant à l’avenir, mon neveu Olivier et ma fille Cécile sont la prochaine génération et la suivante travaille déjà un peu comme stagiaire en vente, mais je ne pense pas qu’il en fera son métier. Au moins, je peux me rassurer en me disant que si la librairie-presse ne tourne plus, il leur restera tout de même le patrimoine immobilier.